L’homme est un animal trahi

Publié le par JCV

L’homme est un animal trahi


“L’homme est un animal trahi, l’Histoire est sa sanction“ s’afflige et s’inquiète le philosophe Cioran. Il en est de nos relations avec les animaux comme avec le reste du vivant : distantes, intéressées, sélectives. Force est de constater que peu à peu nos sociétés se sont désolidarisées du reste du vivant érigeant un rempart odieux entre l’homme et la nature.

Un schisme tragique et indigne qui précipite l’humanité dans une impasse planétaire. Probablement happés et enivrés par les succès scientifiques et technologiques, nous avons basculé vers le matérialisme absolu et bouté hors de notre sensibilité et de notre conscience le règne animal et végétal. La notion d’êtres vivants s’est au fil du temps, délitée, pour laisser place à des perceptions confuses ou abstraites. Les animaux sont devenus des choses ou des objets que l’on supporte pour autant qu’ils ne génèrent le moindre trouble à notre existence. Nous nous sommes arrogé un droit régalien de tolérance ou d’in-tolérance vis-à-vis d’eux, souvent selon des critères passés au tamis de l’anthropomorphisme. Selon qu’ils nous rendent service ou pas, qu’ils nous procurent un bien-être comme les animaux de compagnie ou qu’ils constituent une ressource alimentaire, notre attention à leur égard est variable et oscille d’un excès à l’autre. Un poulet ou un porc élevé hors sol, en batterie n’est qu’un vulgaire produit au service d’une industrie. Dès lors, son sort et sa condition flottent sur un océan d’indifférence. Pour peu qu’un animal soit déclaré nuisible, alors l’aversion est sans bornes. À l’inverse les dauphins au sourire anatomique bénéficient de toutes nos affections comme tous ces mammifères dont la fourrure nous renvoie inconsciemment mais agréablement aux peluches de notre enfance. Les animaux ainsi dénaturés sont soumis aux aléas de nos convoitises et aux caprices de nos sentiments.

Gardons à l’esprit qu’à l’échelle terrestre, l’époque récente a été dramatique pour la biodiversité en général et les animaux en particulier. Réductions ou privations de territoires, exploitations aveugles des ressources naturelles ajoutées à mille petites agressions toutes plus sophistiquées et efficaces les unes que les autres ont mis l’univers du vivant au seuil d’une nouvelle grande extinction, la première d’origine anthropique.

La démarche de la Ligue des Droits de l’Animal s’inscrit dans ce contexte.

Partout dans le monde nous avons condamné les animaux au stress pour le meilleur, à la souffrance permanente pour le pire. Nous nous accommodons d’autant mieux du sort des animaux que nous en ignorons la plupart du temps la réalité et érigeons des leurres qui nous permettent de ne pas les voir. Pire, certains doutent tout simplement de l’existence physiologique de cette souffrance.

Doit-on rappeler que les souffrances ne se comparent pas, elles s’ajoutent. S’indigner ou s’émouvoir des souffrances animales ne signifie pas être indifférent à celles des hommes. Au contraire, ces réactions et ces émotions se nourrissent aux mêmes sources. Ces racines du bien irriguent et profitent aux uns et aux autres sans discernement.

S’affecter de la condition animale est une occasion essentielle de distinguer l’humanité de l’animalité. Qui plus est donner aux animaux des droits donne une chance à notre civilisation de s’élever d’un degré supplémentaire sur l’échelle de la dignité. Nous savons où est la vertu, à défaut de nous sanctionner, l’Histoire nous jugera, sans concessions.

Préface du livre Ligue française des Droits de l’Animal,
de Suzanne Antoine et Jean-Claude Nouët

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