Le piège français

Publié le par jc

Le piège français - Libres propos
Ce piège français où nous gigotons, il se montrait, l'autre jour, en pleine lumière : des syndicats de la fonction publique défilant côte à côte avec les étudiants. Et des parents avec leurs fils révoltés. Quel piège là-dedans ? Eh bien, c'est que les premiers, les « protégés » du système français, font le malheur des seconds, des exclus, des jeunes. Et que notre génération de parents, par son avidité et son endettement, ne cesse de pourrir les chances de ses enfants. Le piège, c'est l'absurde collusion des faux « précaires » aux emplois garantis et des vrais « précaires » du chômage et de l'avenir bouché ! Celle des gros bras de la fonction publique avec de malheureux jeunes, béjaunes et bernés.

Car, enfin, d'où vient en France la pénurie du travail ? Elle vient du coût d'un travail trop cher, hérissé de règlements. Les charges excessives et un Code du travail byzantin ont fini par décourager les donneurs d'emplois. De même que l'excès d'impôt tue l'impôt, l'excès de social tue le social.

Dans l'euphorie des Trente Glorieuses (1945-1975), l'Etat providence a tant exagéré sa providence que la Nation en est sortie emmitouflée, puis corsetée, puis étouffée par le réseau des « avantages acquis ». Pour comble, la vieille gauche a trouvé bon d'y rajouter ses calamiteuses 35 heures. « Toujours plus » pour ceux qui ont déjà, et bernique pour les autres ! Ainsi a-t-on pu dire, justement, que le système français avait « choisi le chômage ».

Nos voisins ont, à des degrés divers, connu le même vertige. Mais tous ont réagi. La réforme a partout tranché dans le fardeau social et réduit les dépenses publiques. Partout, sauf en France !

Le dramatique mécanisme du piège, c'est qu'aujourd'hui la révolte des « exposés », des vulnérables, n'a qu'une requête : conserver la même providence d'Etat. Elle veut des protections et plus d'argent public dans un pays déjà titubant sous l'impôt. Avec - voici le piège ! - pour inéluctable conséquence de charger un peu plus la barque qui s'enfonce. Militer, ces jours-ci, contre l'aléatoire précarité d'un emploi, c'est militer pour la lourde précarité du chômage. Gribouille, pour éviter la pluie, se jette à l'eau !


Pour en arriver là, il fallut que concourent divers handicaps français. D'abord l'idéologie étatiste de l' « exception française ». Elle aura vu l'Etat papa, colbertiste et jacobin, tomber en quenouille et passer la main à l'Etat mamma, couard et geignard. Le tout dans l'amertume d'une vieille Nation ruminant un prestige évanoui. Et, par là-dessus, une élite politique incapable, une fois installée, de résister à la rue ou à la grève. On voit des comités syndicaux d'étudiants, des lycéens (pas encore les crèches...) admonester la Nation et expédier des ultimatums avec le plus parfait mépris de la règle démocratique.

Pour avoir, depuis vingt-cinq ans, évité de dire à la Nation sa vérité et celle du monde nouveau, pour l'avoir laissée mariner dans un bouillon d'illusions, le pouvoir, sous nos yeux, patauge. Et, pis, il expédie une jeunesse abusée dans les bras de la vieille gauche. A qui la faute si la jeunesse se met ainsi le doigt dans l'oeil ? La faute revient à la majorité de la classe politique. « Car son aveuglement produit leur cécité... » (1)

Alors, dites-vous, comment en finir avec ce réflexe de l'antilibéralisme spontané qui ruine le pays ? Pas facile ! L'opinion, encore largement abusée, ressemble à ces conducteurs inexpérimentés qui, d'instinct, freinent sur le verglas au lieu d'accélérer en conservant la bonne direction. Pour lui apprendre à conduire sur le sol glissant de la mondialisation, la France n'a pas besoin de « psys », elle a besoin d'instructeurs.


On les cherche encore. Le pouvoir chiraquien est empêtré par ses échecs. Le non référendaire l'a assommé. Villepin, altier et brouillon, ne trouve pas, avec le CPE, son meilleur terrain. Mais il manifeste une énergie, une volonté que la rareté rend appréciables. Reste qu'il n'est pas seul maître à bord. Et qu'on ignore encore s'il pourra maintenir son CPE sans le vider de son sens sous les amendements. Et puis, il y a Chirac...

Sur l'autre bord, il y a peu à espérer. Le Parti socialiste serait, à coup sûr, le plus crédible dans l'opinion pour amorcer la conversion qui a déjà gagné tous les socialistes européens. Mais la perspective électorale de 2007 précipite ses caciques comme fétus dans l'aspirateur démagogique. Quant aux champions de la CGT et de la CFDT, ils regardent fixement leur proche congrès et, pour y triompher, font les fiers-à-bras. Tous ces horizons, politiciens ou catégoriels, bouchent l'horizon national. La France est dans le piège, mais elle n'en voit pas encore les mâchoires.

Publié dans jcv

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